jeudi 26 mars 2009

L'HOMME OISEAU - Renaissance

Pressés de quitter ces logis, où si ce n’est pas la poussière c’est le toit qui leur tombe sur la tête, ils lancent un vaste projet de reconstruction. Les intentions sont ambitieuses, les besoins immenses. La pollution est disparue avec les usines, la forêt a retrouvé sa vigueur, elle fournira la matière première. Ne manque que les outils. Abattre un arbre à l’aide d’un silex; il fait le travail, mais c’est long, et il en faut plusieurs. On se met à rêver à une bonne vieille hache. Trouver du minerai de fer est facile, les ruines en regorgent. Le haut fourneau représente un problème, on se souvient du nom, mais pas du savoir-faire. Il faut s’y reprendre des dizaines de fois mais tout est finalement prêt pour la première coulée.

On vient de partout pour assister à l’évènement. Le métal rouge incandescent coule et disparaît à l’intérieur du moule de sable. Le spectacle est beau à voir. Un tel succès mériterait une fête mais ça ne se fait plus. Dès l’aube la foule s’entasse autour du moule. Ils cassent la croûte, grattent le sable et déception, retirent un amoncellement de minerai en forme de hache. La foule fait demi-tour et, tête basse, retourne à ses affaires. La frustration est grande, et la perte d’une hache n’y est pour rien. C’est l’obligation de donner raison à l’original. Celui qui gaspille ses journées au bois à rêvasser, le même qui se plaît à répéter.
- Ça ne marchera pas. Les effets de la bombe vivent encore !

Comme il est de bon ton de mépriser l’orgueil, ce grand responsable de l'utilisation de la bombe, en un clin d'œil et juste au bon moment un conseil se forme. Il convoque l’original, l’invite à s’asseoir, lui sert une bonne ration de chien et, humblement, lui demande de s’expliquer. Il se fait quelque peu tirer l’oreille et, légèrement hautain, commence à parler.
- Vous n’aviez qu’à regarder et vous auriez vu.
- Vu quoi ? s’exclame en cœur la populace.
- Que la vie n’est plus ce qu'elle était.
- Vas-tu arrêter de te payer notre tête !
- Ce n’est tout de même pas de ma faute si vous n’avez pas vu que la nature ne va pas toujours comme on est habitué de la voir aller.
- Il ne va pas essayer de nous faire croire que les plantes poussent par en dedans, s'exclame un jeune pas brillant.
Le conseil tente de calmer le bon peuple et reprendre le contrôle de l’assemblée. Il expulse le jeune, réclame le silence et prie l’original d’expliquer ce qu’il comprend de ses observations.
- Je n’essaie pas de comprendre, je me contente d’ouvrir l’œil. Cela dit, ça ne m’empêche pas d’avoir ma petite idée. Qu’elle se tienne ou pas, il reste que la forme et la couleur des feuilles ont changées. Que les crapauds rapetissent, que les grenouilles nagent de moins en moins, que les nageoires des poissons changent de forme, que le martin-pêcheur préfère les petits fruits aux poissons, que les lièvres ont des pattes palmées. Mais par-dessus tout, que le mulot pond, alors que les oiseaux ne pondent plus !

On rit, le qualifie de fou, propose de le jeter dans la rivière, de tout oublier et retourner travailler. Une voix s’élève au dessus du brouhaha
- C’est vrai que les feuilles ont changé de couleur !
La salle se divise en deux clans, ceux qui ont vu et les autres. On discute, discute, puis désigne un comité d’experts chargé d’enquêter sur les oiseaux et les mulots pondeurs.
La populace commence à ouvrir les yeux, à voir que l’original n’a peut-être pas totalement tort. Des courageux avouent avoir vu des bizarreries. Incapable de la dépeindre en mots, la chose devient effroyable.

L’enquête piétine. Les pseudo-experts argumentent.
- Si vous croyez que c’est facile à espionner un mulot. Pour les oiseaux, les nids sont pleins de petits, ce qui tend à prouver qu’ils pondent.

Le conseil se doit d’agir. Une réunion de discussion est appelée. Allons-nous destituer le comité, en nommer un autre, ou simplement oublier l’affaire ? Au plus fort des délibérations, le gros Jos s’installe au centre du cercle de discussions et demande la parole.
- Débarrassez-moi de ce sans-gêne, ordonne celui qui aimerait occuper le siège de président.
Mais la coutume de vénérer une grande gueule n’est pas encore rétablie.
- Sortez-le ! reprend son lèche-cul de droite.
Gros Jos dépose son sac, lève les poings et met au défi quiconque de le faire bouger avant qu’il n’ait fini de s’expliquer. Un silence de fond de tombe recouvre l’assemblée. C’est que gros Jos a les épaules presque aussi larges que l'arrière train d’un cheval de trait.
- Allez mon brave, on vous écoute dit l’aspirant président.
- J’essaie de commencer un élevage de cochons. Plusieurs ont visité mes installations.
- Les autres les ont senties, s'exclame un comique. Gros Jos fait le sourd et poursuit son exposé.
- Des mois que je peine à partir cet élevage ! Ce matin j’entre dans la porcherie, voilà que ma première truie a cochonné durant la nuit. Huit beaux porcelets. Une trâlée de petits cochons roses s’échinait à coup de museau sur le pis de la mère. Il y avait de quoi me payer une journée de congé et c’est ce que je m’apprêtais à faire. C’est là que j’ai vu un petit tremblotin dans un coin. Fallait le rapprocher, l’aider à téter. À peine ramassé, j’ai tout de suite compris pourquoi la truie l’avait rejeté. J’ai le cœur trop sensible pour faire comme sa mère. N’empêche qu’il m’enlève le goût d’une journée de fainéanderie.

Gros Jos ramasse la poche en peau de chien coincée entre ses galoches. Tous attendent; gros Jos aussi, il savoure sa minute de gloire.
- Tu ne vas pas t’arrêter là, se scandalise le lèche-croupion.
Gros Jos regarde le pseudo-président ouvre la bouche, rajoute quelques secondes de silence à son plaisir et affirme.
- Ce qui est dit est dit.

Scandalisée l’assistance s’agite. L’aspirant au prestige appelle au calme. Il regarde gros Jos, ravale sa langue et, trop poli, demande à l’éleveur s’il veut bien poursuivre. L’habitant réaffirme tout en brandissant son sac.
- Je n’ai plus rien à dire mais je peux vous montrer mon casseur de party.
Tous les yeux fixent les soubresauts du sac. L’air narquois, il ouvre le sac et regarde à l’intérieur. Fait un clin d’œil, plante sa main dans le sac, fait la moue et retire la chose. Les ho ! Les ha ! Les qu'est que c’est, se succèdent.

La chose a le corps et le cri d’un porcelet. Les pattes et la tête d’un éléphant.
- Moitié cochon, moitié éléphant, ça donne éléchon. Que pensez-vous de ça comme nom ?
Il le dépose par terre. Absolument pas intimidé, le porcelet à trompe se promène de gauche à droite. Son air narquois laisse supposer qu’il s’amuse, qu’il se paye la tête du monde. Gros Jos profite de la cohue, oublie l’éléchon sur place et retourne à sa ferme.

Trop beau pour faire peur, il est immédiatement adopté. Bienvenu dans toutes les demeures, son appétit sans fond le conduit aux meilleures cuisines. Il profite à vue d’œil jusqu'à atteindre le poids d’un gros chien. Bien qu’il continue à s’empiffrer comme un cochon, il ne dépasse jamais ce poids.

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